En avant propos de cet article consacré aux soins dont tout lasériste doit entourer ses espars (avec une housse de transport par dessus), je crois qu'il est bon, surtout à l'heure où l'on procède en baie de Quiberon aux essais de l'Hydroptère, voilier volant sorti des usines DASSAULT, de raconter ici une blague archiconnue dans les milieux de l'aéronautique.
Le dernier prototype d'avion de chasse DASSAULT, le MIRAGE 3000, bijou de la technologie française, souffre d'un mal mystérieux et apparemment incurable : les ailes s'arrachent de la carlingue en plein vol, bien qu'on ait tout essayé pour renforcer l'emplanture des ailes et leur fixation sur le fuselage.
On en est au 12me crash en essais (et incidemment au 12me pilote d'essais enterré en grande pompe). Le Canard Enchaîné persifle, le Monde s'interroge gravement et le Figaro y voit la main d'un saboteur payé par l'Anti-France (soviétique ou américaine, ça dépend des jours). Ceci se passe, bien entendu, avant la chute du mur de Berlin et aussi avant la mort de Marcel DASSAULT. Tout le bureau d'étude est bien embêté, d'autant que le programme de développement a coûté très cher (au contribuable) et que les émirs du Golfe ont passé une mirobolante commande.
C'est à ce moment que le vieux Mohammed, qui balaye le bureau d'études depuis trente ans, s'approche de Marcel Dassault en grande discussion avec l'ingénieur en chef et lui tient à peu près ce langage :
"- Icoute patron, ji vois que ti es bien embêté avec ton zavion mais si ti voux, ji t'explique comment ti dois faire.
- Hein, de quoi ? Comment ?
- Icoute, c'est simple, ti n'as qu'a prendre une chignole et ti perces une ligne di ptits trous entre li zailes et li foselage di ton zavion.
- Mais enfin, Mohammed, c'est grotesque, nous cherchons à renforcer les ailes, pas à les affaiblir, voyez-vous!
- Icoute, patron. Ti fais comme ti voux, c'est toi li patron, mais si ti fais comme dit li vieux Mohammed, ti auras plus de problèmes ; une ligne di ptits trous ji ti dis...."
Comme toutes les solutions raisonnables ont été essayées, que de plus, le programme risque d'être bientôt abandonné, l'ingénieur en chef et Marcel Dassault en personne s' introduisent de nuit, comme des voleurs, dans le hangar de l'avion, tracent une ligne à la craie depuis le bord d'attaque, jusqu'au bord de fuite de chaque aile, au niveau de l'emplanture puis, avec une perceuse, font une série de petits trous le long de la ligne. Le lendemain, le nouveau pilote d'essais, un costaud au front bas, modèle Rambo modifié Top Gun, est convoqué sur la piste.
"- Alors, mon ami, c'est compris : vous grimpez dans ce zinc et vous lui faites donner tout ce qu'il a dans le ventre, d'accord ?
- Affirmatif."
Et le gars monte dans l'appareil, pousse les gaz à fond, décolle et exécute un festival d'acrobaties aériennes : chandelle, piqué gaz à fond, ressource au ras des Pâquerettes, trente tours de vrille, loopings, tonneaux... et rien ne casse, rien ne s'arrache, à la stupéfaction de tout le personnel de l'usine massé sur le terrain. Joie, champagne, petits fours.
On prend un brevet sur le procédé au nom de Dassault, pas de Mohammed, faut pas rêver, et, lors de la livraison des premiers avions à l'émir du Koweit, un buffet est dressé. Le vieux Mohammed se tient dans un coin, modeste et discret. L'ingénieur en chef et Marcel Dassault le prennent à part et lui demandent, l'air de rien, le secret du procédé miracle.
"- Icoute patron, c'est très facile : dans li chiottes di ton zuzine, ti as di papier à cul en rouleau, pas vrai ?
- ??? Mon cher Mohammed, j'avoue que je ne vous suis pas tout à fait.
- C'est très simple : li papier cul en rouleau, il si déchire jamais suivant les pointillés, jamais, jamais, jamais..."
Malheureusement pour nous qui vivons hors du monde fou fou fou des histoires et des blagues, il arrive que l'aluminium dont sont faits nos espars (et parfois aussi le papier "Q"), se déchire bel et bien suivant les pointillés déterminés par les rivets, la régate d'Hourtin nous en a encore fourni un exemple récent.
Voici des remèdes préventifs à cette catastrophe qui entraîne généralement la déchirure de la voile, notre aile à nous.
Petit rappel sur la résistance des matériaux : lorsqu'une poutre ou un tube travaille en flexion, un côté s'allonge, l'autre se raccourcit et le milieu ne bouge pas. Les ingénieurs parlent de fibre étirée, de fibre comprimée et de fibre neutre.
Dans ces conditions, on comprend très bien qu'une faiblesse du métal a bien plus d'importance si elle se situe sur la fibre étirée (l'amorce de déchirure qu'elle constitue ne demande qu'à continuer à se déchirer).
L'exemple le plus important est le haut de mât : sur les lasers récents (depuis 1988 environ), le collier de raccordement est maintenu par un seul petit rivet de 3mm qui doit obligatoirement être tourné VERS L'ARRIERE, une petite flèche autocollante rouge est là pour nous le rappeler obligeamment...
Sur les bas de mât plus anciens, on trouve suivant l'âge, les montages suivants (fig. 1 à paraitre) : de 1973 à 1985 (jusqu'au n° 90 000 environ), trois rivets à 120° situés à la même hauteur et en 5mm qui plus est. De 1985 à 1988, on a deux rivets, de diamètres différents situés l'un en haut et l'autre en bas du collier. Ces deux montages (le premier surtout) sont de parfaits pointillés à papier-cul et avec les démultiplications de hale-bas actuelles, il ne faut surtout pas utiliser tel quel un vieux haut de mât, même si le bateau n'a été utilisé qu'en eau douce, sans corrosion électrolytique.
Première précaution : examiner l'état réel du métal autour des trous de rivets : on élimine ces derniers en perçant la collerette (mèche de 5 bien affûtée) puis chasse-goupille pour sortir le rivet proprement dit. On fait glisser le collier pour regarder.
Si le mât est d'un ancien modèle, il y a toutes les chances pour qu'apparaisse une fissure perpendiculaire au mât, au plus grand diamètre du trou du rivet (fig. 2 à paraitre).
La solution : démonter les bouchons supérieurs et inférieurs et retourner le haut de mât, en profiter pour adopter le montage "moderne" (un seul rivet) après avoir éventuellement rattrapé le jeu entre le mât et le collier avec un tour de scotch d'emballage très soigneusement appliqué.
Il faut protéger le métal au niveau des trous de rivets avec une peinture spéciale au CHROMATE DE ZINC (cette peinture se trouve en bombe chez les concessionnaires de moteurs hors-bord, car elle sert de sous-couche pour protéger les pièces en fonderie d'aluminium). Comme le haut de mât doit être étanche, on remontera tous les rivets avec un mastic silicone (RUBSON ou SIKAFLEX) et on bouchera les trous des anciens rivets ... avec de nouveaux rivets dûment mastiqués.
Un haut de mât cassé ne doit surtout pas être mis à la poubelle car on peut le transformer en bôme en rachetant toutes les pièces d'accastillage nécessaire. Depuis 1986, la jauge autorise un manchon de renfort pour la bôme (70 cm maxi) au niveau de la prise de hale-bas (voir jauge). Comme il doit en principe être fourni par le constructeur, le plus simple est de se servir de l'autre morceau du haut de mât cassé, dont on réduit le diamètre en faisant une fente d'environ 7 à 8 mm de large (fig. 3 à paraitre).
Il faut le rentrer suffisamment loin pour pouvoir placer le bouchon avant de la bôme qui reçoit le vit de mulet. Pour couper bien droit un tube, il faut l'entourer avec une feuille de cartonette ayant un bord bien droit et tracer le trait de coupe au crayon (fig. 4 à paraitre ).
Le bas de mât du laser standard est un tube à la paroi très épaisse. Il est rare de le tordre ou de le casser (Fabien PETRON l'a fait !). Par contre, l'anodisation est parfois très usée au niveau du pied de mât et on a alors une usure plus rapide ainsi qu'un infâme jus d'alumine noirâtre qui salit l'emplanture.
On peut donc retourner le bas de mât (le haut devient le bas et l'avant, l'arrière). Cette opération est surtout intéressante si les trous des rivets de vit de mulet et de hale-bas sont très attaqués par l'électrolyse (cratères, dépôts blanchâtres). Pour éviter de salir la voile avec l'endroit où l'anodisation a disparu, on dégraisse (acétone) et on passe du chromate de zinc en bombe avant de recouvrir de chatterton large, collé avec soin.
Le bas de mât du laser radial ne peut pas être retourné car il comporte un renfort fendu en bas. On peut seulement le récupérer pour en faire autre chose. Dans mon club, un bas de mât ex-Gérard de ROFFIGNAC, a trouver à s'employer comme support de cloison vitrée dans la cuisine, pour séparer la paillasse du lavabo particulier (à pédale, Inspection sanitaire oblige) destiné aux ablutions du cuistot.
Un autre bas de mât radial, agrémenté d'un tronçon de bôme et d'une jambe de force taillée dans un wishbone sert de ...douche de plage, même si, de loin, l'ensemble, avec la corde de commande de la douche, évoque furieusement une potence !
La bôme peut aussi être retournée si on trouve des fissures sous la ferrure de hale-bas mais là, non seulement on sera hors jauge (à cause du manchon qui se retrouvera à l'arrière), mais en plus, on aura une kyrielle de trous de rivets à reboucher...
Il peut être intéressant de remplacer les rivets du pontet d'écoute par des boulons si on sort souvent par grand vent. Remplacer tous les rivets par des boulons est possible mais fastidieux.
Si vous avez une ancienne bôme dont la ferrure est une simple bande d'inox tenue par 4 rivets à 45° (fig. 5A), n'hésitez pas à la retourner et à manchonner l'intérieur avant de l'équiper de la nouvelle ferrure en demi-cylindre (fig. 5B).
Les rivets : ceux d'origine sont en alliage "monel" et étanches. En école, on peut se contenter de rivets à bon marché en alu, mais en régate, l'inox sera préférable à condition d'appliquer du chromate de zinc sur les trous qu'on vient de percer puis de mastiquer.
Ne pas hésiter, après une régate en mer, à bien rincer les espars, non seulement par l'extérieur mais aussi par l'intérieur, pour la bôme et le bas de mât ; la corrosion la plus sournoise attaque de l'intérieur, comme la 5° colonne de Franco dans Madrid assiégée...
Enfin, pour les écoles qui trouveraient trop chers les espars d'origine, il existe des copies, vendues par les spécialistes pour écoles de voile (CAEV, AG+, NENUPHAR ...). Ils font largement l'affaire en école pour moitié moins cher. Bien entendu, ils sont interdits en régate. Le prix des espars d'origine est sans doute nettement surfait : récemment, un loueur plagiste de St Florent qui liquidait, m'a proposé d'immenses mâts (5 m de haut) qui décoraient son coin de plage. Je m'apprêtais à décliner lorsque, tout bien considéré, je suis allé prendre un haut de mât de laser ... qui rentrait pile - poil. A l'évidence, les mâts de pavillon en question sortaient de la même filière que les bas de mât de laser standard. Mon club est donc aujourd'hui pourvu d'une mine de bas de mât !!
Au prix que ce plagiste m'a dit avoir payé pour ses mâts de pavillons (dans chacun desquels on peut largement tirer deux bas de mât), il y a de quoi se poser quelques questions sur les monopoles et les circuits de distribution...
Petite astuce pour finir : lorsqu'on a du mal à chasser l'un des embouts en plastique d'un espar, il est commode de procéder ainsi : rentrer un objet cylindrique lourd (manche à balai ou tronçon de fer à béton) dans le tube et le redresser brusquement. Le bouchon est chassé comme par un coup de marteau. Attention quand même avec le fer à béton : il faut le couper bien droit et garnir son extrémité d'un bout de chiffon scotché ... sinon, l'embout est massacré.
On m'objectera qu'il faut que l'espar soit déjà débouché d'un côté : en fait, les petits bouchons (en haut de mât et au point d'écoute sur la bôme) viennent facilement. Ce sont les autres qui ont besoin de ce traitement de choc pour sortir.
Ah, au fait, avant de partir régater, méfiez-vous de la manière dont les espars sont posés sur la remorque, le bateau ou les barres de toit. Le revêtement anodisé n'aime pas vibrer et frotter sur l'acier galva d'une remorque. On peut acheter les "bidules triangulaires réceptacles de mât" pour les lasers anciens qui n'étaient pas livrés avec chez un revendeur agréé. Les espars ne s'usent pas en tapant les uns contre les autres et avec 2 bouts de moquette pour les portages, on est paré pour la route !