Dans quelques millénaires, les archéologues sous-marins s’étonneront de trouver un nombre élevé de safrans de ce qui semblait être un petit dériveur. Rassemblant et décryptant des documents datant de notre époque, ils concluront qu’il s’agit de safrans d’un dériveur appelé Laser. Ce bateau était très répandu à la fin du vingtième siècle et au début du vingt et unième : de tels vestiges avaient été ramenés de toutes les côtes du monde mais aussi des lits de rivières et fleuves et du fond de nombreux lacs. Ces safrans proviendraient-ils de naufrages de ces dits dériveurs ? Mais alors pourquoi n’y a-t-il pas d’autres traces ? D’ailleurs les écrits de l’époque les disaient insubmersibles. Qu’est ce qui peut bien amener ces safrans à côtoyer les amphores romaines dans les musées archéologiques ?
Mais revenons à notre époque. Si tant de safrans finissent au fond de l’eau, c’est tout simplement parce qu’un safran de Laser, ça coule.
Je sais, il y a les incrédules, ceux qui vous disent que la languette sur le tableau arrière empêche le safran de sortir des femelots. Qu’en plus avec la barre qui passe sous la patte d’oie même si le safran devait sortir, il resterait accroché au bateau par la tension de la patte d’oie sur la barre.
A l’usage, l’écart entre la théorie et la pratique est certain. Laissez moi vous conter une de mes mésaventures. Après la dernière manche d’une régate à Marseille, il n’était que 3 heures de l’après-midi. Un petit mistral s’était levé et je décide de m’entraîner aux empannages. J’étais le dernier sur l’eau. Je commence par monter au près. Puis j’attaque ma série d’empannages, série qui s’achève au deuxième par un dessalage. J’étais vêtu d’un shorty et l’eau était glacée en ce début avril. Et là, debout sur la dérive, je vois que mon safran est sorti des femelots. Il reste accroché au bateau par la barre coincée sous la patte d’oie. Mon intuition de Lasériste me conseille de sauter à l’eau pour le remettre en place, mais mon aversion pour l’eau froide ou la peur du requin mangeur d’hommes me font préférer redresser le bateau avec l’intention de remettre ensuite le safran. Las ! J’avais aussi un stick avec une rotule en plastique qui pouvait se déboîter de la barre pour éviter l’usure de la rotule au repos. Et au moment où je redresse le bateau, la rotule de stick se désolidarise de la barre, la laissant ainsi glisser sous la patte d’oie. Je ne pus qu’apercevoir quelques instants mon safran disparaître dans les profondeurs bleutées de la rade de Marseille. Voilà comment en quelques secondes, on se fabrique une vraie galère pour occuper toute une fin de week-end. Sans safran le Laser, contrairement à d’autres dériveurs plus civilisés, n’est pas du tout manoeuvrable. C’était cependant mon jour de chance. Alors que je m’interrogeais tout désappointé sur la suite à donner, je vis arriver de nulle part un Zodiac providentiel conduit par Monsieur Caujolle Père, qui me remorqua jusqu’au port.
Pourtant, j’étais sensibilisé au problème. Le premier jour d’un stage, alors que j’étais moniteur de voile, j’avais donné rendez vous à tout le monde à une bouée près de la sortie du port. J’avais négligé de contrôler la manière dont un stagiaire avait gréé son Laser. Le pauvre n’est jamais parvenu à la bouée. Il avait passé la barre par dessus le bout de patte d’oie. Confronté au problème, au premier virement de bord, il tenta d’y remédier en déboîtant la barre pour la passer dessous. Avec un dessalage en prime, le safran coulait aussitôt. La barre en bois, elle, flotta. Le safran n’était pas perdu. C’était à Granville. Les marées y sont telles qu’en retournant en soirée sur les lieux du drame, je pus récupérer le précieux objet.
Je pense que l’ignoble individu qui m’a fauché mon safran aux derniers Championnats de France à Brest avait probablement laissé couler le sien. J’ai regretté sur le moment de n’avoir pas mieux identifié le safran avec force inscription au marqueur.
A y regarder de plus près, on se rend compte que la mésaventure est assez fréquente, notamment pour les barreurs peu expérimentés :
Henri LAFAGE - Trésorier YC Draveil : « Deux safrans des Laser du club ont été perdu récemment dans la Seine. Cela est dû à des négligences de certains membres utilisateurs des bateaux club. Cela coûte assez cher au club : 1300 francs pour acheter un nouveau safran. »
Jean-Eudes MONCOMBLE - Entraîneur CN Narbonne-Plage : « Cet été, en école de voile, nous avons perdu deux safrans. Les deux à la suite de dessalages : l’un a coulé tout seul et l’autre a coulé après que le barreur se soit accroché après. Les barres étaient en alu.»
Nicolas HONOR - Surf Expérience : « Nous vendons une centaine de safrans par an. Notre plus gros client en safrans est le Club Méditerranée. »
Christophe BARRUÉ - SN Sanary (vous savez bien, le papa de Marie !) : « Je n’ai jamais perdu de safran. Par contre, j’en ai trouvé un au fond de l’eau à Marseille, dans le petit bassin. C’était celui de Nicolas BARTHÉLÉMY qui l’avait perdu en dessalant. Un safran qui a coulé, ne se pose pas à plat sur le fond. Seule la tête de safran touche le fond alors que la lame se dresse à la verticale. »
Gilles GLUCK - CESM St-Florent: « J’ai perdu un jour un safran à Cergy-Pontoise. Mon bateau était amarré au ponton et en bricolant la barre, le safran a coulé. Heureusement, des plongeurs s’entraînaient dans le plan d’eau. L’un d’eux a bien voulu le récupérer. Il a du chercher ses bouteilles car en apnée, il n’avait obtenu aucun résultat. Mon club à Saint-Florent (Haute-Corse) est une école de voile et de plongée. C’est 2 à 3 fois par saison que les moniteurs de plongée sont sollicités pour repêcher, par 15 ou 20 mètres de fond, un safran de Laser perdu. Ils y parviennent pour peu que le moniteur de voile ait prévu de baliser le lieu du naufrage avec une bouée. Ces pompeurs d’air exigent en tribut une quantité de Muscat du Cap Corse équivalente à la capacité de la bouteille d’air ainsi consommée. Ils essaient ensuite de nous faire croire que l’ivresse des profondeurs est une narcose provoquée par l’azote comprimé suivant la loi de Boyle-Mariotte. Plus sérieusement, il faut en école : 1) utiliser des barres en bois et des sticks étanches. L’ensemble flotte d’extrême justesse si le bois n’est pas trop dense, 2) changer les languettes de safran tous les ans (1 safran vaut le prix de 50 languettes), 3) si les fémelots sont usés de manière différente sur tous les bateaux de la flotille, ça clique sur certains bateaux, pas sur les autres. Il faut, à l’occasion d’un hivernage, retourner tous les fémelots en plastique et règler toutes en même temps la cote des languettes, ce qui n’empêche pas évidemment de prévoir un petit câble inox avec un mousqueton pris sur le pontet de patte d’oie.»
Sans aller jusqu’à la solution du câble inox de Gilles Gluck, certains barreurs rajoutent une garcette pour assurer le safran. Ils attachent cette garcette le plus souvent au pontet de patte d’oie. Cette solution est astucieuse, sûre et peu coûteuse. Mais elle a un défaut majeur : elle est totalement hors jauge, tout ce qui n’est pas explicitement autorisé par la jauge étant interdit.
Je pense qu’il y a urgence à modifier les règles de jauge pour :
L’objectif est de ne plus jamais perdre de safran. Gouverner c’est prévoir, et pouvoir barrer c’est vital. Alors demandez et soutenez une modification de la jauge du safran du Laser.